Je promène ma main sur le bras de Blue, faisant se dresser les petits poils blancs. On se prélasse au soleil depuis deux bonnes heures, impossible qu'elle ai froid. Avec un sourire, je me penche vers elle et l'embrasse tendrement, tout en faisant passer ma main de son bras à son ventre plat. Ses doigts viennent agripper mes cheveux, les tirant légèrement. Mon sourire s’élargis un peu plus. Pas que j'aime souffrir, mais j'aime quand elle ose, quand elle se lâche comme ça, en public. On est dans un parc public, allongés sur un grand plaid, les restes d'un pique-nique agréable à côté. Un peu timide, ma petite amie n'aime pas particulièrement s'exposer au regard des autres. Alors je suis toujours ravi quand elle fait un pas vers moi. Après quelques instants, je romps le baiser, attrape Blue par la taille et bascule sur le côté, l'entraînant avec moi. Je me trouve allongé sur le dos, au sol, et elle allongée sur moi. Je relève la tête et embrasse furtivement ses lèvres. « Pars avec moi... » Le sourire de Blue se fige, puis disparaît. Elle me fixe durement un moment puis se redresse et glisse sur le côté pour finalement se remettre debout, me dominant de toute sa hauteur. Je m'appuie sur mes coudes et lève les yeux vers elle. « Quoi ? » Elle pousse un petit soupir exaspéré, comme si je connaissais déjà la réponse. Et c'est vrai. On a déjà eu cette conversation des dizaines de fois. Je passe mon temps à tenter de la convaincre de quitter le Centre avec moi, et elle passe son temps à refuser. « Tu sais ce qu'il y a. Tu n'as pas à partir, Storm. On est bien, ici, comme ça ! » Je détourne le regard et fixe un couple avec un bébé. On n'aura jamais droit à ça, nous, les enfants d'humains. En tout cas, pas Blue et moi. Si elle colle parfaitement à l'idéal des mille-pattes, je suis loin de rentré dans le moule. Et bientôt, si je ne m'enfuis pas, ils insèreront une de leur bestiole argentée dans mon cerveau et je ne serais plus jamais moi. Je serais mort, tout simplement. Je reporte mon attention sur Bleuenn, qui me fixe toujours avec désapprobation. « Toi, peut-être que tu es bien, mais c'est parce que tu leur conviens. Tu es parfaite, Blue, sous tout rapports. Alors que moi, ils trouveront le moindre prétexte pour insérer une âme dans ma tête. Je peux pas rester là, je veux pas devenir un putain de pantin entre leurs mains, tu comprends ça ? » Elle secoue énergiquement la tête. Elle ne m'idéalise pas, elle a parfaitement conscience de mon caractère violent, incompatible avec les principes des âmes, mais elle continue à penser que je puisse changer pour devenir pacifiste, comme ses chers mille-pattes. Agacé, je me lève à mon tour et commence à remballer le plaid et le panier-repas. Elle reste dans mon dos, les bras ballants. « Storm... C'est pas comme ça, tu le sais... T'énerve pas, bon sang ! » Je me retourne brusquement vers elle, la toisant, limite méprisant. J'aime Bleuenn, de tout mon coeur. Je serais prêt à mourir pour elle, s'il le fallait, si elle me le demandait. Je lui ferais jamais de mal, je lèverais jamais la main sur elle. Je hausse le ton de temps en temps, mais j'imagine que c'est comme ça dans tout les couples. Elle compte plus que tout à mes yeux, plus que ma propre vie, plus que l'humanité. Je n'échangerais pas les 7 milliards d'habitants que compte la Terre contre Blue. Mais parfois, sa façon de penser m'échappe totalement. Ses principes de vie également, du reste. Il faut être complètement aveugle pour ne pas voir ce qui arrive aux enfants récalcitrants dans mon genre. On insère de force une âme, pour les civiliser, les pacifier, histoire qu'ils concordent à l'idéal utopique auquel aspirent les mille-pattes. Et c'est la mort de l'humain, la victoire de l'extra-terrestre sur le Terrien. Je ne veux pas subir ça. J'ai l'intention de rester moi, de rester entier le plus longtemps possible; avec Bleuenn de préférence. Et pour ça, il faut partir. En deux grandes enjambées, je suis sur elle, attrapant ses poignets et les serrant sans m'en rendre compte. La grimace de douleur qui se peint sur son visage me perturbe, mais pas suffisamment pour m'arrêter totalement. « Je ne veux pas mourir, Blue ! Je n'ai pas l'intention de leur laisser mon corps ! Et toi, qu'est-ce que tu en pense ? Tu apprécierais de voir une âme à ma place ? Tu serais capable de l'aimer ? » Terrorisée, elle met un instant avant de me répondre. Ses yeux clairs scrutent les miens, à la recherche d'un espoir auquel se raccrocher; l'espoir que je ne partirais pas. « Ça sera toujours toi... » Stupéfait, je lâche ses poignets et ils retombent le long de son corps. Je la fixe, muet de surprise. Il me faut un instant pour assimiler. « Alors quoi, c'est du corps dont tu es tombée amoureuse ? Celui qui est à l'intérieur, tu t'en fous, c'est ça ? Très bien, alors ! Parfait, magnifique ! On va tout de suite demander à ce qu'ils m'insèrent une gentille âme, bien comme il faut ! » Exaspéré -et surtout blessé-, je laisse tout en plan derrière moi et quitte le parc à grandes enjambées, sous les appels de Blue. Ça peut plus durer, tout ce bordel. Il est temps de prendre les armes et de défendre mon humanité chérie. Je parlerais une dernière fois à Blue, quand je serais calmé, et si elle refuse encore, je partirais; seul.